28 septembre 2009

Analyse traductorielle




Mon examen portait sur Kurosawa, l'illustre réalisateur japonais. Ma prof m'a écouté et m'a dégoté le texte qu'elle savait que je ne la maudirais pas trop fort, pour une fois.

Quand bien même le document paraît "simple", "facile", "pas trop compliqué", souvent on peut buter sur un tout petit détail, comme par exemple cette phrase, déjà traduite par mes soins :


Ils étaient les seuls êtres vivants alentours et marchaient dans les ruines, passant devant des montagnes de corps calcinés, longeant des canaux et des rivières rougis par le sang des cadavres qui y flottaient.


La question porte sur le dernier mot.
Dans la première version, j’ai écrit qui s’y baignaient.

Après une première relecture, je me dis que non, ça ne joue pas. Ils sont morts. Ils ne peuvent pas se baigner. Ils peuvent, à la rigueur, baigner.


Définition de baigner : Être entièrement plongé dans un liquide


Hum…

Réfléchissons.


Les cadavres flottent-ils ou sont-ils réellement immergés ?

Un cadavre ne remonte pas à la surface avant environ 5 jours (dépendant de la température de l'eau, du corps gras ou pas, des gaz de décomposition) mais avant, il coule comme une brique, plus ou moins rapidement en fonction de la quantité d'air dans les poumons, mais pas plus de quelques heures.

Considération temporelle : On parle ici du Grand Tremblement de Terre de Kanto, qui eut lieu le 1er septembre 1923. Il y a des montagnes de cadavres calcinés ce qui suppose que les "nettoyages" post-catastrophe ont déjà été entamés.

Comme après un séisme on prend des précautions avant de mettre un pied en zone sinistrée face au risque de répliques et d’écroulement de bâtiments, on peut considérer qu’il s’est écoulé au moins 48 heures.

Sans compter le temps qu'il faut pour faire une montagne de cadavres... et de les brûler.

Les cadavres peuvent donc difficilement flotter, il est bien trop tôt.

N'auraient-ils pas coulé ? On peut douter que les "visiteurs" se soient rendu sur les lieux 2 heures après le sinistre. Il s'agit plutôt du lendemain ou même du surlendemain.


Ainsi donc, ils baignent.


Mais, il y a un mais, il y a toujours un mais.

Les canaux et les rivières sont rougis par le sang, ce qui laisse penser que les cadavres doivent être encore assez "frais" pour à la fois perdre du sang et que ce sang soit encore rouge. Ce qui est peu probable après 48 heures.

Une solution serait que les canaux et les rivières ne soient pas assez profonds pour qu’un corps couché, dont la hauteur excède rarement 50 centimètres (surtout au Japon en 1923), soit complètement immergé, ce qui expliquerait leur visibilité. Ainsi ils auraient pu voir les flots rougis et les cadavres y flottant en se rendant rapidement sur les lieux du sinistre. Les opérations de "nettoyage" auraient donc commencé très vite.

Il est inutile de préciser que la théorie des rivières si peu profondes ne me satisfait pas. On parlerait plutôt de ruisseau.

Pour conclure, la suite chronologique des événements ne fonctionne pas. Les cadavres ne peuvent flotter et baigner à la fois. Ils ne peuvent pas perdre du sang si longtemps après leur mort. Ils ne peuvent pas flotter si vite après leur mort…


Une seule phrase.
Un gros problème de logique.


C’est donc une formulation "poétique" des événements, pour alourdir le pathos déjà bien pesant. Ou une confusion de souvenirs du protagoniste (personne réelle, événements réels), volontaire ou non, qui sert à nous dégoûter encore plus que nous ne l’étions déjà (ou pas).


Suivons l’illogique logique. Poétisons.

Se sera donc qui y baignent. C’est tellement plus joli.



Allez, encore 5 pages…



PS1 : Dieu que j’aime ce métier !


PS2 : On pourrait même ajouter un autre problème, en cherchant bien. Ils sont les seuls êtres vivants alentours. Il y a des montagnes de cadavres faites de la main de l'homme. Comment peuvent-ils être seuls ? Les "nettoyeurs" se sont-ils joints au feu de joie ? Hum...


PS3 : Bon, dans la version allemande, le mot utilisé est dériver. Ce qui suppose qu’ils flottent. Mais ça ne fonctionne pas quand même. Et dériver, c’est pas très poétique.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Et j’allais quand même pas laisser passer un si joli délire.


2 commentaires:

  1. ^^
    J'adore le cheminement, j'adore le délire que je partage!
    Si avec ça tu cartonnes pas tout, je m'appelle pas Valérie.
    :)
    La suite dans trois semaines!

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  2. Je suis étonnée que tu ais fini dans les temps avec des reflexions pareilles :)

    Sinon t'as raison Kurosawa, c'est hyper poétique... huhu!

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